“Marée haute” : passion brûlante au Lucernaire
Comment parler d’une passion amoureuse ? Comment décrire une histoire vécue par deux êtres que tout oppose, le milieu, le métier, la culture, réunis par l’étonnante magie d’un magnétisme charnel semblable à une grande marée, qui va tout emporter ? La comédienne Josiane Pinson s’est emparé d’une belle manière du roman de Benoîte Groult “Les Vaisseaux du cœur” (éd. Grasset) qu’elle a adapté pour la scène, avec une mise en scène délicate de Panchika Velez dans la salle Paradis du Lucernaire. Quand l’intimité d’une parole de femme fait théâtre au plus fort de l’émotion.
“J’aime pas que la vie me dépasse”
C’est l’histoire improbable et pourtant vraie d’une intellectuelle parisienne et d’un marin-pêcheur. George, sans “s” comme George Sand, est une professeur d’université qui va entretenir une liaison passionnée avec Gauvain, un marin pêcheur breton. Il se connaissent depuis l’adolescence, quand la jeune femme passait des vacances en famille et que jeune homme, lors des fêtes ou des mariages, était de la partie. Un long baiser, une courte nuit, et quelques jours ensuite dans un studio parisien. Puis des années après une semaine passée dans un hôtel de Dakar, ou en Floride, pour s’aimer à en perdre la raison, à mêler les coeurs et les peaux dans des étreintes sans fin, que le désir n’apaise jamais. “J’aime pas quand la vie me dépasse” déclare Gauvain le pêcheur à George l’intellectuelle. Qui lui répond par sa soif de folie, sa quête de liberté. Il est marié, elle est en couple, mais on envoie valser les convenances bourgeoises par dessus bord. Et Gauvain va imprimer une marque indélébile dans le corps de George qui, pas davantage que lui, ne se remettra tout à fait de cette passion.
Une vie rêvée
Dans ce très beau texte, d’inspiration autobiographique, écrit pas l’auteur alors qu’elle avait 68 ans avec une liberté totale d’introspection de sa propre vie, il sera question d’attentes insupportables, de désir inextinguible, de fantasmes mais aussi de vérité. Il sera aussi question du couple et de sa durée, de fulgurances émotionnelles et sexuelles, et de la difficulté de faire perdurer, de manière raisonnable, une telle histoire. Dans un écrin noir cerné par un simple rideau, sur lequel sont projetées des vagues marines, la comédienne Josiane Pinson s’approprie le texte à la première personne, alors qu’en écho, de manière sensible, à la voix proche et lointaine, la voix rocailleuse de Didier Brice lui répond. Coupe de garçonne, jean et silhouette longiligne, la femme qui se raconte face à nous ressemble à toutes les femmes. La simplicité, la douceur, la malice avec lesquelles elle nous conte cette histoire, tantôt à Paris, tantôt en plein milieu de l’Océan Indien, avec des phrases claires, nous la rendent étonnante en même temps qu’évidente. Avec elle, on rit, on est ému, on chavire, on compatit. Et c’est la force de ce texte et de cette adaptation si juste, mise en scène sans fausse note par Panchika Velez, qui résonne en chacun grâce au talent d’une oeuvre littéraire qui colle à la vie. Un hymne à la vie, en écho au féminisme joyeux de Benoîte Groult.
Hélène Kuttner
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